entretien avec Noberto Chiesa de Bouquet

Chiba Senseï a fait venir feu Deshimaru Senseï à Londres pour que nous prenions un premier contact avec le Zazen. Je n’oublierai jamais la manière dont il faisait vibrer le dojo quand, après une longue séance de méditation assise…


Noberto Chiesa à Mèze

Pouvez-vous nous parler un peu votre itinéraire, de comment vous êtes venu à l’aïkido ?

Je suis né à Buenos Aires, en 1935. En 1958 j’ai émigré aux Etats-Unis, je me suis installé à New York, et j’ai été admis à la Cooper Union School of Art and Architecture, et j’en suis sorti diplômé en 1960. J’ai ensuite enseigné les Beaux-Arts dans deux universités jusqu’en 1970.
En 1969 un de mes amis, un acteur passionné d’aïkido, a insisté pour que je vienne assister à un cours. Je ne m’intéressais aucunement aux arts martiaux, ne connaissais pas grand chose à la culture japonaise et n’avais pas le moindre goût pour la bagarre.
C’était le dojo de Yamada Senseï. Les gens roulaient et tombaient, heurtant le sol à grand bruit et inexplicablement, se relevaient pour recommencer. J’ai regardé pendant un mois, m’efforçant de trouver un sens à ces jeux bizarres et un peu effrayants. J’ai été surpris de trouver de la beauté à ces mouvements et intrigué de noter un léger sourire de plaisir intérieur chez la plupart des pratiquants.

Je voulais savoir pourquoi ils souriaient, je suis donc monté sur le tapis.


Comment avez-vous vécu vos premiers pas dans cet art ? Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

Un jour Yamada Senseï a demandé à un jeune japonais de passage de me faire travailler les ukemi. Je ne savais pas que le monde pouvait être tant sans dessus-dessous. J’avais l’impression qu’à force de rouler j’allais me trouver mis en orbite, mais mon guide m’a gentiment retenu sur le tatami. Je ne l’ai jamais revu depuis, mais je lui suis très reconnaissant.

J’ai pratiqué là pendant environ un mois avant de partir pour un an de congé sabbatique à Londres. J’ai demandé à Yamada Senseï où je pourrais continuer à pratiquer et il m’a dit : « Va voir Chiba ». Je suis « allé voir Chiba », après l’avoir cherché dans tout Londres pendant trois semaines. Il n’était pas dans l’annuaire, il n’y avait pas de publicité, et je ne me souviens plus comment j’ai trouvé le dojo.

Mais là, il y était, et vous ne pouviez pas le manquer. J’ai eu l’impression déconcertante que la curiosité qui m’avait mené là pourrait me coûter la vie. Dans l’allure de certains membres du dojo on pouvait lire « ATTENTION : DANGER », on sentait l’odeur de la peur chez la plupart et Chiba Senseï était, je dirais, terriblement impressionnant.

Tous les éléments étaient réunis pour me faire rebrousser chemin en vitesse, mais j’ai aperçu une lueur splendide dans les yeux de Senseï lorsqu’il parlait de « sa dame » dans un anglais alors fort limité. Sa dame, c’était l’aïkido, il en était amoureux et je savais que ce chevalier était prêt à mourir pour elle s’il le fallait. Je devais faire confiance à cet homme-là, lentement et inconsciemment ma confiance s’est mêlée d’affection, et j’en ai été repayé au centuple.

Qu’a-t-il fallu pour que « ce léger sourire de plaisir intérieur » apparaisse sur votre visage ?

Je ne m’en souviens plus. Il y avait tellement à apprendre, tellement à faire. Pendant les premières années de pratique le corps en mouvement s’organise autour d’un centre – la plupart des gens s’en rendent compte – et cette intégration physique apporte un sentiment de bien-être et de plaisir.

Le sourire m’est venu, même s’il n’est pas en permanence visible sur mon visage. C’est comme si mon corps pouvait sourire. Je ne sais pas comment exprimer ça exactement.

Beaucoup d’années plus tard, et l’âge venu, la pratique a amené à la surface d’autres couches de joie véritable. Quand on pratique en n’y ayant rien à gagner et rien à prouver, les choses deviennent simples et joyeuses.

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