Entretein avec Gerhard Walter de Berlin.


Gerhard Walter dans son dojo Mehringdamm à Berlin.

Quand on entreprend d'approfondir sa connaissance d'une culture étrangère, on subit une série continue de chocs intellectuels et culturels. Les mœurs et la pensée japonaise nous sont toujours étrangers. En particulier quand il s'agit de la religion, l'écran invisible que constitue une tradition millénaire forme devant la curiosité occidentale une barrière considérable. Une des causes principales de cette incompréhension tient sans aucun doute au penchant vers le syncrétisme de la spiritualité orientale qui s'oppose à notre mentalité attachée au principe d'exclusion. Comment as-tu réussi à pénétrer ce domaine, à te l'approprier et à continuer à persévérer dans ta pratique du Zen ?

La réponse est assez simple. Pendant tout ce temps je ne me suis jamais plongé dans une culture étrangère. J'ai été l'élève de plusieurs maîtres d'aïkido et j'ai séjourné régulièrement dans des monastères Zen sans jamais m'être intéressé au Zen ou à l'aïkido en tant que tel. En aïkido ma motivation était la constitution de l'homme total comme condition de l'efficacité, dans le Zen, ce que je recherchais, c'était la pratique contemplative comme clé permettant de comprendre comment en finir avec cette absurdité qui fait que nous sommes notre propre pierre d'achoppement. Je ne me suis donc à aucun moment mis en quête de l'aïkido ou du Zen, mais bien de moi-même, de la personne réelle. Pour cette raison je n'ai pas éprouvé ces barrières dont tu parles. J'en connais beaucoup qui sont partis en quête de l'aïkido, et non d'eux-mêmes. Mais plus nombreux encore sont ceux qui disent, et qui pensent, être à la recherche d'eux-mêmes, sans comprendre vraiment ce que cela veut dire. Heinrich von Kleist écrit dans son essai «Sur le théâtre des marionnettes»: « Je lui dis que je savais parfaitement quels désordres la conscience provoque dans la grâce naturelle de l'homme ». Si on n'apprend pas à se défaire de ces désordre que cause la conscience, on ne pourra ni réaliser un mouvement naturel ni se réaliser soi-même.

Toujours est-il que O Senseï affirmait que c'était le mouvement naturel et non un quelconque truc qui constituait le secret de l'efficacité du budo, et le maître Zen Dogen Zenji indiquait que « l'esprit quotidien est la voie ». Si le Zen m'a été nécessaire, c'est que les explications qu'énonçait O Senseï laissaient même ses élèves japonais interloqués. Aucun de mes professeurs d'aïkido ne pouvait m'expliquer de quoi il s'agissait. Ils ne savaient que me dire qu'il fallait avant tout se mouvoir. Mais quand il s'agissait de dire en quoi consistait la différence entre le sport et l'aïkido, tout ce qu'on obtenait, c'étaient de vagues allusions. Il n'y avait là aucune mauvaise intention, seulement de l'ignorance. En Zen, on dit : « La dernière chose que l'on peut faire, c'est d'en parler ».

On peut le formuler ainsi : «les débutants se meuvent mal, les élèves avancés se meuvent bien, mais celui qui a maîtrisé les désordres de sa conscience, celui-là est un avec lui-même». Et comme cela doit s'exprimer en acte, on parle de mouvement naturel. Les artistes, les artisans ou les amants atteignent une telle intégrité à des moments singuliers, les sportifs de hauts niveaux parlent de « flow », mais ce qui est captivant, c'est comment, au sein de la totalité, cesser de faire obstacle à ce « flow

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