Entretien avec Pascal Krieger 2009 – N° 31FR

ou une approche calligraphique du Budo


Pascal Krieger dans son Appartement à Genève.

Horst Schwickerath explique qu’il se charge de la mise en page et du travail graphique de l’édition française d’AJ, et son interlocuteur lui répond :

Nous avons donc le même métier ! Je travaille sur InDesign CS3. Je n’ai jamais été professionnel, car je me suis toujours dit que quand on était professionnel, ça change beaucoup la donne : il y a des choses que l’on ne peut plus faire, on n’est plus libre de penser ce que l’on veut, il faut faire attention aux fins de mois, il faut faire attention à beaucoup de choses financières, et l’argent et le budo… ça m’a toujours posé un problème. Je préfère être libre. J’ai donc toujours travaillé mes huit heures par jour, et tout le reste est en plus. Comme ça j’ai un salaire qui est assuré, pour ma famille – j’ai cinq enfants – et je ne peux pas me permettre de gagner un mois un peu, un mois un peu plus, c’est trop risqué. J’ai donc pris la décision de toujours avoir un salaire régulier et tout le reste je le fais après, le soir ou le weekend. Ça veut dire souvent des journées de quinze, seize heures. C’est très fréquent.

Depuis combien d’années pratiquez-vous le budo ?

J’ai commencé le judo en octobre 1963. Je suis venu à Genève en 1966 et je suis parti au Japon début 1969. Je suis resté 2 ans au Japon – je suis rentré à la mort de mon père en 1971. Ensuite, Don F. Draeger, qui était un Américain très versé dans les arts martiaux japonais, qui a vécu de nombreuses années au Japon, m’a demandé de prendre la direction d’un magazine de judo à Chicago et j’y suis donc resté deux ans pour faire la mise en page, écrire les articles – professionnellement aussi, c’était très intéressant. Puis je suis parti à Hong-Kong pour réduire les coûts d’impression du magazine. J’ai donc commencé à m’établir à Hong-Kong pour faire le journal, et au moment où j’étais établi, il y a eu la crise pétrolière et donc tous les prix, comme le prix du papier, se sont envolés, et Don Draeger m’a dit : « Stop ! Rentre à la maison ou au Japon ». Le Japon étant plus près, je suis retourné pour quatre ans au Japon pour compléter mon étude du iaïdo, du jôdo et bien sûr du judo.
J’avais commencé le iaïdo en 1969. Je suis tombé sur Maître Kuroda qui m’a dit : « Moi, je fais de la calligraphie et du iaï. Si tu veux faire du iaï avec moi, tu dois faire aussi de la calligraphie ». Et donc j’ai commencé en même temps la calligraphie en 1969, cela fait donc exactement 40 ans.

D’où êtes-vous originaire ?

Je suis né à la Tour de Peilz, dans le canton de Vaud, près de Vevey, je suis resté deux ans à la Tour de Peilz, ensuite nous sommes allés à Fribourg, ensuite, comme mon père avait beaucoup d’enfants, et que mon oncle n’en avait pas, il m’a donné à mon oncle, et j’ai alors vécu quatre ans dans le Jura bernois, à Saint Imier. Je suis revenu dans ma famille à l’âge de huit ans, et à dix ans et demi je suis parti au séminaire des Pères blancs à Saint Maurice, dans le Valais. Je suis resté là cinq ans. Je suis rentré ensuite pour travailler en usine, dans une fabrique de chocolat – c’est chaud ! Ensuite mon père m’a encouragé à faire un apprentissage, et je suis devenu compositeur-typographe à Montreux et une fois mon apprentissage terminé je suis venu à Genève.

Votre nom est d’origine allemande ?

Krieger est un nom allemand, mais je pense qu’il y a sept ou huit générations que les Krieger étaient dans le canton de Fribourg, et il n’y a pas de tradition allemande dans ma famille, on ne parle pas l’allemand. Je crois que c’est d’origine prussienne.

Vous préférez pratiquer un art où il y a des combats, des compétitions, plutôt que l’aïkido ?

Ce n’est pas quelque chose qui est et qui ne change pas. C’est quelque chose qui change avec l’âge. J’ai beaucoup aimé le combat, au début. Avec le judo j’ai fait de la compétition : dans l’équipe du Shung Do Kwan de Genève j’étais en élite, et on travaillait assez dur. Quand je suis arrivé au Japon, je voulais me perfectionner pour devenir un compétiteur de niveau international, ou du moins national, et quand j’ai rencontré Maître Draeger qui était un très bon judoka, il m’a dit : « Si tu restes au Japon pour plusieurs années… le judo, tu peux l’apprendre en France, ils sont aussi forts que les Japonais, pour ça, en Europe il n’y a pas de problème, par contre, les arts traditionnels, jamais tu ne pourras les apprendre en Europe ». C’est là qu’il m’a presque un peu forcé la main au début, et il m’a dit : « Viens, je vais te présenter des maîtres d’arts martiaux traditionnels et tu choisiras ». Il m’a emmené dans plusieurs dojos, et pour finir il m’a dit : « Fais du jô, c’est vraiment intéressant ». Et donc en mars 69 j’ai rencontré Maître Shimizu Takaji qui était le Daï – pas le Soke, le Soke c’est par le sang, le Daï c’est par filiation. Shimizu Sensei m’a pris sous son aile dès le début de 69, et depuis je n’ai jamais arrêté.
En même temps, le même mois, il m’a présenté à Maître Kuroda, qui était un maître de iaï et de calligraphie, et là aussi j’ai commencé à pratiquer ces deux disciplines, la calligraphie et le iaï et depuis ce jour-là je n’ai jamais arrêté. J’ai donc trois disciplines que je fais depuis quarante ans, et le judo que je fais depuis quarante-cinq ans.
Vous pratiquez encore le judo ?

À cause de la compétition j’ai eu beaucoup de blessures, et j’ai trois fois reçu un implant de hanche, dans la cuisse gauche, et je ne fais donc plus de chutes. Mais je travaille encore beaucoup au sol et j’ai un cours le vendredi matin à 6 heures et demie au Shung Do Kwan, un cours gratuit que je donne depuis maintenant dix-huit ans, à tous les gens de Genève qui peuvent se réveiller à cette heure-là. Il n’y en a pas beaucoup… Mais quelquefois on est huit, dix, douze.

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