Entretien avec Jean-Gabriel Greslé de Favières pré Paris.

Je revois encore Terry Dobson montant à un mètre du sol sur une projection presque invisible de O Sensei. La chute a ébranlé toute la structure en bois du vieux Dojo.


Jean-Gabriel Greslé dans son maison à Favières pré Paris.

Un de vos élèves nous a écrit et il a mentionné que vous aviez travaillé au Japon avec O Senseï…

Oui, c'est vrai.


À quelle période ?

Pendant les cinq dernières années de la vie de O Senseï. C'est-à-dire que je suis arrivé au Japon pour la première fois en 1965 et O Senseï est mort en avril 1969. J'ai dû assister à un de ses tout derniers cours fin février 1969.


On raconte qu'alors il n'enseignait plus beaucoup et qu'il n'était pas souvent à Tokyo…

Mais si, bien sûr qu'il était à Tokyo ! J'ai plein de photos de lui, je peux vous les montrer: il donnait encore cours régulièrement. C'est vrai qu'il y a eu un petit moment de flottement quand on a reconstruit le nouveau dojo. On a détruit le dojo en bois, dans lequel je me suis entraîné, et ensuite O Senseï a dû enseigner dans le nouveau dojo pendant à peu près six mois, ou peut-être un peu moins. Le dojo a dû être fini au mois d'octobre et il a enseigné jusqu'à la fin février de l'année suivante.


Avez-vous commencé l'aïkido en France ?

Oui.


Et puis vous êtes allé au Japon…
C'est beaucoup plus long que ça. J'ai commencé à pratiquer le judo. J'étais sur le point d'avoir mon premier dan de judo et nous étions en 1958. J'ai passé toute l'année 1959 en Afrique pour mon travail : j'étais pilote et je faisais de la recherche d'uranium, de la recherche minière en avion. Quand je suis rentré, j'étais très fatigué et mon professeur de judo m'a dit : « Jean, il y a un garçon très doué qui fait de l'aïkido, allez donc faire un stage d'aïkido, il faut être 1er dan, mais vous êtes quasiment 1er dan de judo, allez faire de l'aïkido et comme ça, dans six mois, vous serez reposé, vous pourrez reprendre la compétition.» Mais l'aïkido m'a tellement intéressé que j'ai continué l'aïkido.

Donc j'ai commencé l'aïkido tout au début des années soixante, en janvier 1960, et à ce moment-là en fait j'avais tout ce qu'il fallait pour demander mon 1er dan de judo : j'étais 1er kyu depuis trois ans, j'avais passé le nage-no-kata, et j'avais trois points en compétition en ligne. J'avais donc tout ce qu'il fallait pour demander mon 1er dan et finalement je ne l'ai jamais demandé. Et l'année suivante j'ai eu mon 1er dan d'aïkido à la place. Je n'ai plus jamais pratiqué le judo.


Avec qui travailliez-vous ?

Avec Jim Alcheik. C'était un élève de Me Minoru Mochizuki, il avait vécu et travaillé au Japon pendant plusieurs années, chez Minoru Mochizuki, et quand il est revenu il était 3e dan d'aïkido et a commencé à enseigner. Jim Alcheik est mort en janvier 1962. (…) Nous avons perdu notre professeur. Nous avons essayé de travailler avec M. Claude Falourd. Nous étions quatre 1er dan, et très rapidement il est devenu évident que si nous voulions progresser il nous fallait [trouver autre chose]… Alors on a un peu tiré au sort, on a joué avec des cartes, et le sort m'a fait tomber sur Me André Nocquet. Un autre est allé chez Me Hiroo Mochizuki qui était rentré en France.

Je me suis donc présenté chez André Noquet qui m'a tout à fait bien reçu. En 1963 Me Nocquet m'a donné mon 2e dan et fin 1964 j'ai fait un premier voyage au Japon où j'ai rencontré O Senseï, et avant lui Waka Senseï qui est ensuite devenu le Doshu, Kisshomaru Ueshiba.

J'étais pilote de ligne à Air France, et dès que j'ai été sur des vols long-courrier, sur Boeing 707, je me suis arrangé pour aller tous les mois, ou plusieurs fois par mois, à Tokyo. Et nous avons eu la chance, avec mon épouse, que je sois affecté à Tokyo pendant cinq mois. Donc nous habitions à Tokyo, et toutes les semaines je faisais un aller-retour sur Anchorage, ce qui me prenait deux jours, et pendant cinq jours je pouvais aller au cours…

Nous avions deux enfants mais l'hôtel où l'on était, c'était le Takanawa Prince Hotel, s'occupait très bien des enfants quand nous allions à l'entraînement. En plus, deux petits garçons de 3 ans et 4 ans et demi, adorables… ils étaient chouchoutés ! Je crois qu'ils n'ont jamais été aussi heureux de leur vie qu'au Japon. On ne pouvait pas prendre le train sans que les mémères japonaises ne leur offrent des sucreries…
Nous avons eu la chance de passer le 1er de l'an 1967 à l'Aïkikaï de Tokyo, au Hombu Dojo.

On s'est entraîné de 8 heures du soir à minuit ; à minuit on a souffert en écoutant les discours prononcés par des maîtres qui étaient venus en voisins présenter leurs vœux à O Senseï… il y en avait un avec son plastron de kendo. Après nous avons tous défilés, les uns après les autres, à genoux devant O Sensei, et on lui a présenté individuellement nos vœux. Et quand ça a été fini les uchi deshi ont déroulé des nappes en plastique, ils ont amené des assiettes avec de la pieuvre, des fibres de pieuvres légèrement sucrées – c'est très bon – et puis des tasses à thé et des magnums de sake. Autrement dit on a bu le sake dans des tasses à thé. Je peux vous assurer qu'au bout de trois tasses on était… pas mal. On a mangé et tout naturellement, on a décidé de faire le pèlerinage au tombeau de l'Empereur Meiji. Il y avait à peine 3 millions d'habitants de Tokyo qui avaient eu la même idée que nous… C'était assez long, mais pas désagréable : on suivait les allées du parc de Meiji, et à la fin on passait pratiquement en courant devant la cour du bâtiment où il y a le tombeau. On envoyait quelques pièces de monnaie et on avait le droit, ensuite, d'acheter une flèche, qui était en quelque sorte la preuve que l'on avait fait le pèlerinage.

Quand, avec mon épouse, on est rentrés à 5 heures du matin à l'hôtel, avec les flèches plantées par derrière… les enfants, eux… ils devaient avoir deux ravissantes jeunes femmes, par enfant, pour s'occuper d'eux, pour les faire dîner, les coucher : ils étaient tout à fait ravis

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