Robert Gembal - L’aïkido en Pologne

L’aïkido de Kobayashi Hirokazu se caractérise par l’idée de la liberté d’expression de l’individu


Robert Gembal 2007 à Bourg Argental.

Nous sommes dans le nord de la Pologne, au cœur de la région de Cachoubie (Kaszuby) à Chmielno. Autour de nous, il y a des lacs et des collines, tout à fait comme en Suisse. Je suis avec un professeur d’aïkido, Robert Gembal .


Vous êtes un des plus anciens aïkidoka en Pologne. Comment est-ce possible à votre âge, 37 ans ?

Mes débuts dans la pratique de l’aïkido, c’était au temps des débuts de l’aïkido en Pologne. La passion du bushido est apparue à la fin des années 70. Je me rappelle bien le cinéma japonais et les films «gidaï gekki». Je les regardait, et pendant les scènes de combat j’en avait des frissons. Il m’est semblait même comprendre les dialogues en japonais ! Après une telle dose d’émotions, je me suis retrouvé dans un club de karaté shotokan. En 1980, je me suis trouvé dans mon premier dojo d’aïkido, où j’ai appris à faire des chutes sur un parquet. Je faisais aussi des chutes acrobatiques en sautant de toute ma hauteur. A la fin de la saison tout le monde a disparu et mon enseignant a proposé d’aller s’entraîner dans un autre dojo. A partir de ce moment, je me suis entraîné chaque jour dans le dojo à Szczecin chez Jacek Wysocki. A partir de l’âge de 11 ans, je rentrais des cours après 23 heures, j’habitais loin du dojo. Pendant cette période ma nature inconsciente me montrait des symboles et des images de mon destin. La compréhension de ces signes est devenu une tâche pour ma conscience.


Quel aïkido pratiquiez-vous à cette époque, quelles étaient vos inspirations?

Jusqu’à la moitié des années 80, les visites de maîtres étaient rares, on peut dire sporadiques, en Pologne. Notre monnaie était faible et les possibilités organisationnelles réduites. Maintenant nous faisons partie de l’Union Européenne et la situations a changé. Il y a beaucoup de stages et de maîtres qui visitent notre pays régulièrement. Pourtant, au début la passion de notre enseignant, Jacek Wysocki, et notre volonté de le suivre ont été à la base du développement du groupe. La source venait des livres de Morihiro Saito et de Koichi Tohei qu’il avait étudiés méthodiquement. Il faut mentionner aussi des contacts avec Toshikazu Ichimura, Gerd Walter (à l’époque élève de Maître Asaï) et Tomita. Nous avons suivi les directions découvertes par notre mentor Jacek Wysocki…

Dans les années 80 notre dojo est devenu «la source» pour les gens qui ouvraient leur premier dojo, et mon sensei me recommandait de leur enseigner les bases. Dans le même groupe se trouvaient aussi mes amis, à qui j’ai fait connaître maître André Cognard.

Quand a commencé l’histoire du courant de Maître Kobayashi Hirokazu en Pologne ?

Kobayashi Soshu n’est jamais venu en Pologne. Pourtant, il serait probablement étonné de voir qu’actuellement la moitié des pratiquants d’aïkido dans ce pays s’identifient avec son «style». Le premier enseignant qui a montré les conceptions de travail venant de Kobayashi était Giovanni Filippini en 1983 ou 1984. Pourtant, c’est Giampietro Savegnago qui nous a enthousiasmé pour ce style de travail. Il a sincèrement admis à l’époque que le meilleur élève de Kobayashi était André Cognard et la fois suivante ils sont venus tous deux faire un stage pendant lequel j’ai obtenu mon premier dan.


D’où vient cette popularité de l’aïkido Kobayashi en Pologne?

La Pologne est un pays qui est sorti d’un système de monopoles (un parti politique unique, une fédération unique). Les Polonais sont au fond anarchistes et l’Aïkikaï polonais a tout le temps défendu le mythe d’«une fédération unique». Aujourd’hui ce problème a disparu…

L’aïkido de Kobayashi Hirokazu se caractérise par l’idée de la liberté d’expression de l’individu. C’est un de ses éléments principaux. Ce courant a donné à des personnalités diverses une possibilité d’exprimer sa nature profonde et son éthique. Beaucoup d’entre eux ont ouvert des dojos et se définissent comme appartenant à l’école Kobayashi. Si nous observons ce phénomène de l’extérieur, nous dirons que c’est une manifestation d’anarchie et de chaos, mais si nous nous situons à l’intérieur nous percevrons ce même phénomène comme une création d’un nouvel ordre.


Comment êtes vous devenu l’élève de Maître Cognard?

Je suis devenu son élève, en partant à la recherche de mon identité. Jeune garçon de 19 ans, j’ai décidé de quitter le pays car je ne pensais pas avoir de perspectives de développement sur place. Parce que Savegnago Sensei m’avait invité, je suis d’abord allé chez lui. Mon séjour n’était pas légal et je n’ai pas voulu causer de problème à Savegnago Sensei, donc j’ai quitté l’Italie. La spontanéité des relations avec Cognard Sensei n’était pas si évidente, mais quand même mon lien avec lui était fort et datait de notre premier rencontre en Pologne en 1986 – mon destin était de devenir son élève.

Après avoir passé illégalement (comme d’habitude) la frontière entre l’Italie et la France, je me suis trouvé du bon côté. Après cela, étant son uke, j’ai pris des milliers d’ukemi. C’est aussi en tant qu’élève de Me Cognard que j’ai rencontré Kobayashi Soshu lors de ses stages en Europe. Mon attitude était très active.


Avez vous rencontré d’autres maîtres que vous respectez en dehors de votre école?

Bien sûr. J’ai un grand respect pour les maîtres Tamura, Asaï, Noro aussi. J’ai vu Maître Tamura en Pologne et en France. J’ai même servi d’uke à Asaï à Gdansk, quant à Noro… je ne l’ai jamais vu, mais j’ai rencontré un homme qui a travaillé chez lui à Paris (il a fait de simples travaux dans le dojo et dans sa maison dans les années 70). Le point intéressant est qu’il a eu une formidable relation avec Noro et que le maître lui a confié ses idée et réflexions sur l’aïkido, O Sensei, etc.


Dans le livre que vous avez publié, vous prenez une position critique par rapport à Me Ueshiba ?

Il y a quelque points dans mon livre qui ont été interprétés hâtivement. Moi, j’ai critiqué une légende, un mythe créé pour servir un but médiocre. Je juge avec un esprit critique une histoire peu probable et invraisemblable. Pourtant la personne de O Sensei constitue une partie de mon inconscient d’aïkidoka et l’intuition me dit que les conséquences d’un rejet serait fatale, (les dieux pourraient se détourner de moi – disait-on jadis). D’un autre côté il y a encore mon identité polonaise avec des «blessures historiques» par rapport a l’impérialisme, le fascisme, le militarisme. J’ai me livre donc à des réflexions…


Vous dirigez tout seul une école Kobayashi?

Heureusement, ce n’est pas moi. Il y a André Cognard Saïko Shihan et les autre aïkidokas qui se réclament de Kobayashi Soshu comme par exemple Paolo Salvadego Shihan et Walter Oeshlager Shihan. Je veux évoquer aussi feu Charles Abelé. Il y a de jeunes élèves de notre école – grâce à eux l’énergie circule encore plus. J’ai remarqué Guillaume Ange et Franco Palazzolo, tous deux 5e dan.

A l’époque de mon séjour en France, Cognard shihan m’a envoyé en Pologne où j’ai montré l’aïkido qu’il m’avait enseigné à mes amis Maciek et Darek, à Szczecin…


Il s’agit des mêmes personnes à qui vous avez fait connaître Maître Cognard?

Ne me rappelez pas ma naïveté. J’étais leur ami et je n’étais pas obligé de prévoir tout, ma simplicité m’excuse. De toute façon Cognard Sensei m’a répété, comme Cassandre, que «sur le tatami, il n’y a pas d’amis». Mes amis m’ont clairement signifié que dans l’organisation dont j’avais été un de créateurs, il n’y avait pas de place pour moi. Le contact avec cette réalité a été pire pour moi que le contact direct avec l’avant-bras de sensei quand j’étais en retard comme uke… En France, j’ai enseigné dans le cadre de l’Académie Tourangelle d’Aïkido qui faisait naturellement partie de l’Académie Autonome d’Aïkido. En Pologne, en 1996, je me suis mis au travail avec enthousiasme et, avec la permission de Cognard Sensei, j’ai crée l’Autonomiczna Akademia Aikido. Comme ça le processus positif de mon individuation a continué, quoique si je me considère comme une victime. Je me rappelle les mots de sensei qui, d’après moi, ont justifié suffisamment la nature éthique du problème:aider quelqu’un, c’est l’affaiblir. Une proposition alternative:aller en Espagne, proposée par Sensei, aurait constitué un bon et sage compromis, mais mon cœur-kokoro sentait trop de soucis et j’ai eu peur de mon cœur-shinzen (éclat de rire). J’ai fait mes valise et j’ai trouvé un espace pour un dojo dans la région de Gdansk où l’aïkido n’existait presque pas.


Comment fonctionne votre Académie?

Au delà des grandes villes comme Gdansk et Gdynia, on essaie de s’implanter dans les principales villes de la région. L’école est peu présente dans les autres régions du pays. Autrefois, j’ai été à l’origine du développement de la transmission de l’école de Maître Cognard dans toute la Pologne. On en voit entre autre les conséquences, par exemple, dans les stage de Patrick Matoian. Maintenant, je crée de nouveaux espaces à l’Ouest. Là-bas, je rencontre des gens ouverts et formidables. Ce sont souvent des élèves de Tamura Sensei (Stéphane Benedetti, Michel Bécart) ou Fujita Sensei, mais ils apprennent aussi avec moi. Grâce à un Français, Jean Hervé Peron, notre école est entrée en contact avec des Allemands qui font partie de l’école de Walter Oeshlager. Je profite aussi des relations avec Paolo Salvadego shihan, que je considère, à côté de Maître Cognard, comme une personne très expérimentée.

Quant aux groupes de l’Autonomiczna Akademia Aikido, j’ai des élèves qui se réclament de moi. Parmi ces élèves il y a un Polonais, Robert Buk et un Bielorusse, Kiryll Jukh – tous deux sont 3e dan.

C'est M. Gembal lui-même qui nous a fait parvenir le texte de cet entretien.

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