Gayetti Christian et Stéphane Benedetti entretien 2007 à la colle s/loup.

Heureusement, il y a aussi un véritable plaisir physique dans la pratique de l'aïkido.


Entretien à la colle s/loup 2007.

Depuis quand pratiques-tu l’aïkido ?

C’est vieux, c’est très ancien… j’ai commencé les arts martiaux à 14-15 ans avec le judo. J’étais boy-scout à l’époque. C’est eux qui m’ont fait découvrir le judo que j’ai continué par la suite.

Quatorze ans… c’était en quelle année ?

Je suis né en 1940, c’est donc autour des années 54-55. Les arts martiaux… il y avait le judo, que l’on connaissait bien, et dans le milieu où j’étais on parlait un peu d’aïkido, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire, et de karaté. Les circonstances ont fait que, suite à une compétition où j’avais fait une mauvaise chute sur la nuque – à l’époque il n’y avait pas de tatami, il y avait des tapis faits avec des sacs de sciure – je n’ai pas pu remonter sur le tapis, je ne pouvais pas chuter. Et les circonstances ont fait qu’un cours d’aïkido s’est ouvert, et c’était les premiers élèves de Me Tadashi Abe. J’ai le souvenir de M. Mercier, de Roberto Arnulfo…

Où était-ce ?

C’était à Marseille. J’étais dans un petit club à Marseille. M. Mercier et Roberto Arnulfo, eux, étaient au Judo Club de Provence, chez Jean Zin. Tous les maîtres de l’époque passaient chez Jean Zin. Je m’y suis donc inscrit. Mais à cette époque-là, l’aïkido cela n’avait rien à voir avec ce qui se passe maintenant. C’était beaucoup plus un aïkijutsu, c’était rectiligne, face à face. Cela m’avait plu:c’était intéressant, passionnant. Parallèlement à ça, s’est ouvert à Marseille un cours de karaté. Et le karaté… il y avait une auréole, c’était mystérieux. Je m’y suis inscrit et j’ai fait un an, un an et demi de karaté, puis notre professeur a disparu. Et les quelques élèves – on était trois amis passionnés – ne savaient pas où aller, on s’entraînait entre nous, et un jour, au Judo Club de Provence, on a vu une affiche annonçant la venue d’un grand maître, Nakazono Sensei, qui était 8e dan de judo, 4e dan de karaté, et je ne sais plus quel était son grade en aïkido à l’époque. Nous sommes donc allés le voir pour lui demander de nous enseigner. Et effectivement, il nous a proposé de nous donner un cours. Il nous a fait comprendre que le karaté ne correspondait plus vraiment à sa sensibilité, mais il a quand même accepté. C’est comme ça que j’ai rencontré pour la première fois un maître japonais. J’avais croisé Maître Noro dans un stage. J’ai pratiqué avec Me Nakazono pendant un an et demi, jusqu’à ce que je m’en aille au service militaire. Bien sûr, avec Me Nakazono c’était passionnant et c’était très mystérieux. A l’époque j’étais émerveillé par sa présence, par le personnage que c’était.

Quand je suis revenu du service militaire, en 1964, Me Tamura venait d’arriver en France, et Me Nakazono allait partir. Il nous a donné notre dernier cours de karaté au printemps 1965. Et il nous a dit : «Il vous faut continuer à pratiquer pour trouver votre vérité et votre bonheur.» Cela m’a beaucoup touché, surtout venant de lui. Et je me suis dit qu’il fallait que je continue les arts martiaux, quoi que ce soit, avec un maître japonais. Me Tamura venait d’arriver et je me suis inscrit à l’aïkido, officiellement cette fois. Et je n’ai plus quitté l’aïkido par la suite, depuis 1965. Voilà ce qui a fait mon adhésion à l’aïkido et mon cheminement depuis. Et je n’ai pas été déçu en ce sens que je suis toujours autant passionné et interrogatif dans cette pratique.

Tamura enseignait au Judo Club de Provence, et tous les passionnés le suivaient en permanence. Puis il a commencé à donner des cours à Marignane, mais je n’y allais pas trop. Ensuite, il a commencé à enseigner à Aix, et moi-même j’ai commencé à travailler – à l’Aérospatiale – j’avais une voiture, et j’ai commencé à aller sur Aix et j’ai commencé à m’affranchir un peu de Marseille : cela devenait difficile au niveau de la circulation…

A cette époque on pouvait enseigner sans avoir le Brevet, j’avais mon 2e dan et j’ai commencé à enseigner à Aix. Alain Guerrier est parti au Japon pour aller voir O Sensei, il avait un club, le Gymnasium, à Aix et il m’a proposé de prendre sa place. J’étais très heureux, pas tant d’enseigner, mais d’avoir un espace de plus où s’entraîner. Par la suite j’ai eu trois ou quatre clubs avant de me fixer sur Avignon où j’ai un club depuis plus de vingt ans.

Ainsi se sont passées toutes ces années qui ont été un émerveillement, avec tous les chamboulements qu’a connu le monde de l’aïkido.
Quand notre groupe a éclaté, je suis resté auprès de Me Tamura, mais j’ai gardé beaucoup de relations avec d’autres gens qui avaient quitté Sensei et cela m’a posé quelques problèmes avec une certaine hiérarchie.
(…)

Quand on parle de l’histoire de l’aïkido, c’est surtout de l’histoire administrative. Mais la véritable histoire, l’histoire passionnelle, celle des individus, celle-là, personne ne l’a écrite.

Pour moi, l’aïkido c’est les Sensei, Me Tamura en particulier et les autres qui ont pu venir. Et tout ce qui tenait de notre reconnaissance au niveau national, des diplômes, tout cela ne m’a jamais trop perturbé. A l’époque je me suis dit que si je terminais 4e dan, ce serait plus que je ne pouvais espérer. Aujourd’hui je suis 6e dan, à mon grand étonnement. Mais cela ne m’étonne plus car le temps passe…

J’ai connu une époque qui était un moment privilégié, celle des débuts de l’aïkido, les dix premières années… Ce qui se passait c’était de l’émerveillement en permanence, sur le tapis avec tous les gens : il n’y avait pas de problème. Les gens se rencontraient et travaillaient avec beaucoup d’intensité, une intensité que l’on ne retrouve pas maintenant. Les gens s’arrêtaient quand ils étaient épuisés, quand ils étaient obligés de s’arrêter. Il y avait une émulation, on était libres, l’aïkido n’avait pas de reconnaissance nationale.

Stéphane Benedetti:Mais personne n’y connaissait rien:ce que l’on pouvait faire était techniquement assez limité !

CG : Peut-être, mais on se donnait.

SB : Cela contrebalançait l’ignorance : on était obligé de découvrir un tas de choses. Et on était moins.

CG : Les choses ont changé après. Après, comme dans tout groupe, il y a eu des problèmes de pouvoir. J’en parle… mais c’est le genre de choses qui m’est toujours passé au dessus:je n’ai jamais voulu avoir de responsabilité particulière. Mon plaisir, c’est de pouvoir monter sur un tapis et pratiquer. Pratiquer avec plaisir, ce qui n’est pas toujours évident aujourd’hui.

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