Jo (Joseph) Counaris

Me Nakazono disait :  Si pratiquez sabre, beaucoup de progression !


Jo au dojo à Marseille éte 2008.

Vous avez commencé en 1956 ?

Non, en 1957-58. De 24 à 25 ans, j’avais fait deux ans de judo. Mais ça ne me disait rien à cause de la compétition. Un soir, sur la Canebière, j’ai rencontré un collègue qui s’entraînait au judo chez Jean Zin. Je lui ai dit que je voulais faire du karaté, parce que j’en avais assez du judo. Et c’est lui qui m’a parlé d’aïkido, de Tadashi Abe. Je suis allé chez Jean Zin et j’ai vu qu’il y avait le sabre, katana et bokken, le jo, bâton court, le tanto, toutes ces armes, et cela m’a intéressé. C’est comme ça que j’ai commencé l’aïkido. Et je n’ai pas arrêté depuis.

Qui y avait-il ici à cette époque ?

Il y avait Me Tadashi Abe, mais seulement pour un an. Après, il y a eu Me Nakazono. Il habitait à côté de chez moi, et comme il n’avait pas de voiture, le soir – je travaillais comme carrossier – tous les soirs c’est moi qui le reconduisais chez lui. J’ai connu ses enfants, je les ai vus grandir. Ensuite, Me Noro est venu aussi un peu, Me Tamura est venu en 1964, Me Nakazono m’a présenté… Et c’est nous qui avons lancé l’aïkido. Déjà avec Me Nakazono on avait commencé à faire des démonstrations… On était une équipe, on était six. C’était une équipe bien soudée, on s’entendait bien ! Nakazono m’a dit qu’il fallait aider Me Tamura, pour lancer l’aïkido, pour faire des démonstrations… avec les collègues, mais c’est moi qui l’amenais partout, à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse, aux quatre coins de la France. Mais je travaillais : je faisais dix heures d’atelier par jour ! Et presque tous les soirs j’étais au dojo. Je pesais 53 kilos : j’étais maigre. Et puis je me suis dit que j’allais arrêter : j’étais fatigué, j’en avais marre. Mais les collègues m’ont dit : « Non. N’arrête pas, on est une bonne équipe, il faut lancer l’aïkido en France. »
Et après, comme j’étais à la CGT, on s’est bagarré, on a pu avoir une diminution d’horaire. D’abord on a réussi à avoir neuf heures par jour, et après on a réussi à avoir le samedi après-midi. Et après on a réussi à avoir le samedi matin ! Et après on s’est encore bagarré, et on a pu avoir huit heures par jour ! Et puis on s’est bagarré pour avoir trois semaines de congés payés par an. Jusque là on n’avait que quinze jours. C’est de Gaulle qui nous a fait avoir les trois semaines de congés.

C’était en quelle année ?

Ça devait être en 58-59, un peu avant 1960… De Gaulle, et moi-même je ne le comprenais pas à l’époque, c’était quelqu’un qui se battait pour son pays, ce n’était pas un magouilleur. Après on a continué à se battre, et on a réussi à avoir quatre semaines…
Ainsi, on a lancé l’aïkido. On est même monté à Paris : il y a eu une démonstration à la sale Pleyel avec Me Nakazono et Me Tamura devant les autorités de Paris. Il y avait même un maître de karaté, Me Kaze, il y avait aussi un grand maître de judo dont je ne me souviens plus du nom. C’était en 1964-65. L’aïkido commençait vraiment à démarrer. On a continué… J’ai réussi à avoir une diminution d’horaire à l’atelier… Je m’entraînais le lundi, le jeudi et le samedi après-midi chez Jean Zin et le mercredi on montait avec Me Tamura à Marignane où un collègue venait d’ouvrir un club. Quand il y avait un stage de 48 heures le week-end, je faisais huit heures d’aïkido en deux jours. J’allais à Lyon, Bordeaux, Toulouse… j’ai souffert : deux de mes collègues travaillaient comme représentants, mais moi je faisais un travail dur. Il y avait un autre collègue qui était maçon, pour lui aussi c’était dur.
A l’époque j’avais une dauphine, quand on a réussi à faire passer le permis à Me Tamura, il a eu sa première voiture, une 4 CV Renault. Comme j’étais carrossier, je m’occupais de sa voiture. Pour la mécanique, je faisais venir des collègues de travail.
Après, Me Nakazono est monté à Paris et on se voyait lors des stages d’Annecy, tous les étés. La première semaine à Saint-Maximin, on faisait ça au Couvent Royal, et ensuite on faisait trois semaines à Annecy. Tous les jours sauf le dimanche, matin et soir. Cela m’a permis de connaître beaucoup de monde. Dans ce milieu de l’aïkido on rencontre des docteurs, des kinésithérapeutes, toutes sortes de gens… Comme il n’y a pas de compétitions chez nous, ça marche : j’ai fait de bonnes connaissances. J’ai beaucoup d’amis dans le milieu de l’aïkido.
Mais entre-temps les lèche-cul ont commencé à venir. Alors eux… Tamura était propre, il ne se lavait plus ! Ils le savonnaient et tout… Et que nous, on s’était crevé le trognon pour mettre tout ça en place ! Moi, j’ai parlé à Me Tamura, je lui ai dit : « Vous êtes entouré de type qui s’en foutent, tout ce qu’ils veulent c’est de monter en grade. » Moi, j’avais passé le 2e dan en 1971, et j’ai eu le diplôme de professeur de l’ACEA [Association Culturelle Européenne d’Aïki-do, ancêtre de la Fédération Européenne d’Aïkido. Ndlr]. Il n’y en a pas beaucoup qui l’ont. On doit être cinq ou six en Europe. Ça m’avait coûté 1200 francs de l’époque. Avec ce diplôme, je peux enseigner dans toute l’Europe, c’est marqué dessus. Et j’ai eu mon Brevet d’Etat par équivalence à ce diplôme-là. Il couvre le judo, le karaté, les méthodes de combat assimilées.
On s’est tenu à notre place. Les collègues anciens se sont éparpillés, sont allés à la FFAAA, parce qu’ils se sont sentis doublés. Moi, je suis resté chez Me Tamura. J’ai même fait les travaux de plomberie dans sa villa.
(…)
Mes élèves se sont tous rassemblés pour demander le 7e dan pour moi – moi, je ne le savais pas – (…) mais Me Tamura aurait dit que ce n’était pas facile, qu’il y avait la FFAAA… Il a fait avoir le 7e dan à des bons à rien, vraiment des bons à rien, qui ont commencé après moi – je ne suis pas jaloux, moi, je sais ce que je vaux, je sais comment marche mon club. Mais là, il a fait une grosse bêtise. Quand il avait des problèmes, j’étais toujours là. Maintenant il a 75 ans, et moi je vais avoir 77 ans le mois prochain. J’ai dit à mes élèves que j’étais fatigué – il y a les années de carrosserie, quand même, je suis sourd… Mes élèves m’ont dit : « Ecoute Jo, ne t’inquiète pas, on vient te chercher, on t’amène, on t’aide à t’habiller, on te met sur le tapis et tu nous regardes travailler. » Oui, c’est un bon club.

Et depuis combien de temps êtes-vous ici ?

Ça fait trente ans. J’ai commencé à enseigner dans un petit club quand j’étais 2e dan. Ici, quand j’ai travaillé chez Renault, à Renault Michelet, le responsable du syndicat connaissait le président du club qui venait de s’ouvrir. C’est René Olmeta, qui était député, qui nous a fait avoir cette salle et c’est le Comité d’Entreprise de Renault qui payait la salle.
Ça marche. Cela fait trente ans que j’enseigne. Je fais moins de stages qu’avant, il y a quand même l’âge. Mais des stages j’en ai fait vraiment beaucoup…par contre, j’ai beaucoup d’amis dans l’aïkido, à part quelques farfelus, là… ce n’est pas des critiques que je fais, je ne suis pas le genre critiqueur, les gens font ce qu’ils veulent, moi je sais ce que je fais. Ici, à mes cours, j’ai la police, j’ai eu des gendarmes… Quelques-uns de mes élèves gendarmes qui ont été mutés sont venus me dire au revoir et m’ont apporté un cadeau. Ils m’ont dit : « Jo, on n’oubliera pas ton efficacité, ta gentillesse… » J’ai répondu : « Si vous allez sur la Côte d’Azur, si vous allez à Cannes, j’ai mon copain qui y est prof. » Et eux : « On va essayer, mais on regrette le club ici, l’ambiance, tout…. » La police c’est pareil : « A te voir, on dirait… que ta gentillesse et tout… mais quand on t’attaque, alors là…aï ! »
J’ai travaillé dur, avec Me Kobayashi, Me Chiba, Tadashi Abe, rien qu’avec des maîtres japonais…
En plus moi, quand j’étais jeune… on a subit la guerre, nous. Il y avait le marché noir, il y avait des voyous…  Ça montait, ça descendait, moi j’étais au milieu… Il y avait des collègues qui étaient voyous aussi…
La guerre s’est terminée… en 1947, j’avais 16 ans, et j’ai été embauché dans un atelier et je n’ai plus lâché. J’ai travaillé chez Citroën, chez Mercedes, chez BMW… ça fait 21 ans que je suis à la retraite : je suis parti à 55 ans. Et je me demande comment j’ai pu tenir le coup. Je n’en sais rien. Je n’ai pas de réponse. J’ai tenu le coup parce que, comme disait Me Nakazono en montrant son cœur : « Dans la vie, c’est là. Si vous avez ennuis, c’est là. Si vous avez le choix, regardez là.» Comme pour les grades dan, il a dit : « Il y en a qui donneraient des 1er, 2e, 3e dan, mais pas moi, le grade dan, il est là. »
(…)
J’ai passé le 4e dan avec un parisien… j’avais commencé le premier, et puis j’ai été uke. A la fin Me Tamura dit : « bokken ! » J’ai donc attaqué au bokken, et lui était tellement fatigué qu’il a esquivé de justesse et son bokken tombe mollement sur le mien. Mon bokken s’en va, il a rebondi et je l’ai rattrapé… ça c’est un coup unique… Il aurait pu repartir sur le côté, mais non… Tamura a bien ri et a dit qu’il ne l’oublierait jamais. Il lui a quand même donné le 4e dan mais il a dit : « Encore crevé. » 
Et je continue, à mon âge, parce que mes élèves ne veulent pas que je les laisse. Mais il y a des jours où je dois reconnaître que je fatigue…
Mon médecin m’a dit de continuer et de travailler la mémoire, alors je prends mon sabre et je fais les quatre séries de sabre que je connais. Il m’a dit : « Ne vous arrêtez pas ! » Alors je continue. Si un jour je ne peux plus marcher, ils viendront me chercher.
Mes élèves sont allés voir Me Tamura pour lui dire que ce n’était pas normal que certains soient 7e dan, alors que l’on pouvait se poser des questions, et pas leur professeur qui lui, le méritait. Mais maintenant il faut que ça passe par Paris. Mais le président m’a assuré que je l’avais. Mais autrement, ce qui est important c’est que mon club marche bien et qu’avant que je parte, la relève soit assurée. Parce qu’il y en a… au dernier stage je leur ai dit : « Toi, toi et toi, si un jour tu te fais agresser, il faut que tu apprennes à courir vite ! » Ce qu’ils font, c’est de la danse. C’est le système qui compte, la politique.
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