Jean Brunay et Serge Picrit … 1 partie.

Au mois de février j‘ai rencontré à Namur, Michel Bécart, Jean Burnay et Serge Picrit, ces deux derniers des vétérans de l‘aikido belge.


Jean Burnay et Serge Ricrit pendant notre l'entrevue …

Vous pratiquez donc l’aïkido ?

Serge Picrit : J’essaie depuis longtemps. Maintenant, suis-je arrivé à un stade où je peux dire : « C’est ça l’aïkido », ce n’est pas à moi de le dire.

Pour quelle raison vous-êtes vous intéressé à l’aïkido ?

SP : J’ai eu l’occasion d’assister à des démonstrations de Me Murashige. J’avais 15 ans, et j‘ai été très impressionné. Ensuite, j’ai pratiqué dans un dojo qui s’est ouvert tout près de chez moi, et cela m‘a intéressé. A cette époque j’ai rencontré mon professeur Jean Lindebrings, un personnage assez haut en couleur. J‘avais beaucoup de respect et de sympathie pour lui. C’était un homme qui ne laissait pas indifférent. Dans ce dojo, il y avait dix heures de cours par semaine, et je m’arrangeais pour suivre les dix heures de cours. Et j’ai continué. Jusqu’à présent, cela a continué à m’intéresser, donc je continue. Voilà, c’est tout simple.

Et vous, quand avez-vous commencé ?

Jean Burnay : En 1970. Au départ, j’étais intéressé par le karaté. Quand je suis arrivé dans le club, il n’y avait pas de karaté, cela n’existait pas encore. Mais on m’a dit qu’il y avait de l’aïkido. Je ne savais pas ce que c’était. On m’a montré un bouquin sur l’aïkido, et j’ai commencé le soir-même. Et depuis lors, je n’ai pas arrêté. Puis j’ai eu la chance dans mon chemin d’aïkidoka, de rencontrer Michel Bécart il y a une trentaine d’année et depuis, je vais le voir et je travaille avec lui, dans la même ligne.

Votre fédération est la plus ancienne en Belgique, n’est-ce pas ?

JB : Oui

Quand, et pourquoi, avez-vous créé cette fédération ? Et est-ce important d’avoir une fédération pour faire de l’aïkido ?

SP : Si on est tout seul, c’est fort difficile : on ne peut pas accéder à grand-chose. Je crois que c’est tout à fait humain de se mettre ensemble pour avoir plus de moyens. C’est la raison de constituer une fédération. L’Union Belge d’Aïkido a été crée en …

JB : …1978, comme branche de l’Aïkikaï so Hombu de Belgique. L‘Aïkikaï so Hombu de Belgique a été créée par Me Murashige en 1961. Me Murashigo avait reçu l’aval d’O Sensei Morihei Ueshiba et la reconnaissance de l’Aïkikaï so Hombu de Tokyo. Ce qui fait qu‘à ma connaissance, c’est la seule fédération au monde qui ait eu une reconnaissance officielle d’O Sensei, que nous avons toujours jusqu’à aujourd‘hui : on ne nous l’a jamais enlevée. Donc, nous sommes toujours, officiellement, l’Aïkikaï so Hombu de Belgique. C’est pour cela que vous voyez sur nos documents « Feu Morihei Ueshiba, Président » et, comme membre d’honneur, Murashige Sensei.

SP : Me Murashige était l’envoyé de Me Ueshiba pour l’Europe. Il s’est installé en Belgique, mais officiellement il était délégué pour toute l’Europe.

Avant Me Noro et Nakazano ?

Michel Bécart : D’abord il y a eu Me Mochizuki et ensuite Tadashi Abe. Après il y a eu Me Nakazano. Mais Me Murashige était envoyé par O Sensei, les autres par l’Aïkikaï.

SP : Il y a toujours eu cette petite différence d’origine. Je ne suis pas dans le secret de ce qui se passait au Japon à l’époque – j’étais fort jeune et ne me suis jamais intéressé à cela – mais comme le dit M. Bécart les autres experts étaient envoyés par l’Aïkikaï de Tokyo et Me Murashige était envoyé directement par O Sensei Ueshiba. Cela fait une grande différence politiquement, et il subsistera une divergence entre ceux qui étaient envoyés par l’Aïkikaï et ceux qui étaient les envoyés directs de Me Ueshiba. Les uns n’obéissaient pas nécessairement aux autres, il existait entre eux une concurrence. Je crois que, finalement, c’était une manière assez savante de rassembler tout le monde. Ce n’est pas à moi de dire ce qui se passait entre eux, mais je sais qu’il y avait là une petite différence.
Il y a donc eu une filiation qui s’est faite par l’intermédiaire des experts envoyés par l’Aïkikaï – et je crois que Me Noro était, lui aussi, envoyé par l’Aïkikaï. Mais en réalité, ils s’entendaient bien et s’appréciaient mutuellement…

MB : Je sais que Me Murashige est passé chez Me Noro et Me Noro nous a toujours dit du bien de Me Murashige, dont il disait que c’était un grand Maître. Mais son aïkido était… disons, martial.

SP : Certainement.

MB : Une anecdote concernant le respect que Me Noro avait pour Me Murashige : nous étions tout jeunes, je ne sais pas si j’étais déjà instructeur à l’époque… Nous étions en cours, dans le dojo de la rue de Constance, et Me Noro nous a dit : « Si Me Murashige était devant la porte avec un tambo (bâton court), personne ne pourrait sortir. » Je ne l’ai pas connu personnellement, car chaque fois qu’il est passé, je n’étais pas là. Mais pour ce qui est de sa présence sur le tatami, Serge pourrait en parler plus que moi, c’était au delà de ce que l’aïkido que nous pouvons proposer aujourd’hui.

SP : Disons que c’était un aïkido tranchant. C’était, comme on dit à Bruxelles, « court et bon ». C’était direct, instantané, immédiat. J’étais trop jeune pour profiter de cet enseignement, trop débutant. Les rares fois où j’ai vu Me Murashige, ça m’a impressionné : on était comme une petite poussière dans un courant d’air. On se disait : « Cette fois-ci, je vais l’attraper ! » Et il n’y avait rien ! Instantanément, on était projeté, on n’avait pas eu le moindre contact, on n’avait pas eu la possibilité de l’atteindre, c’était vraiment impressionnant parce que l’on voyait là devant nous un petit homme mince, fluet, qui n’était pas un colosse, se promenant doucement… A chaque fois on se disait : « Cette fois-ci, je vais l’avoir ! » et on ne l’« avait » pas, jamais, jamais. C’était impressionnant, parce que quand on commençait l’action, c’était déjà terminé. Il n’y avait pas de possibilité d’entrer en contact de quelque manière violente que se soit avec cet homme. A chaque fois, c’était un courant d’air, un déplacement, le vide. Il n’y avait jamais rien devant nous, et on était projeté instantanément avec une puissance énorme. Cela m’impressionnait vraiment. Ce n’était pas un faiseur, c’était… l’aïkido. Ce n’était pas un type qui fabriquait des mouvements, tirant, poussant, faisant des efforts… allant au charbon. Ce n’était pas ça. C’était instantané… une autre dimension.

Y a-t-il d’autres maîtres qui vous ont donné cette sensation ?

SP: Oui, très souvent, Maître Tamura. Parfois Me Tamura explique. Quand il fait quelque chose et qu’il veut l’expliquer, c’est différent. Sur une action franche, nette, c’est un peu ça. Mais Me Tamura est beaucoup plus gentil dans sa pratique, il veut être beaucoup plus doux que ne l’était Me Murashige, tout du moins actuellement. Me Murashige, lui, n’était jamais doux. Il n’était pas brutal, mais c’était instantané, direct, très martial. Il ne blessait pas les gens, bien sur, mais il ne s’inquiétait pas trop de les faire chuter doucement. On apprenait vite, et si on n’apprenait pas vite, on arrêtait !

JB : Il n’a jamais enseigné les chutes…

SP : Non, il ne perdait pas son temps à ça.


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