Gérard Blaize, Paris 1e partie

…parce que c’est le bojutsu créé par le fondateur de l’aïkido, qui est très différent …


Gérard Blaize dans l'entretien avec Horst Schwickerath.

Est-ce que vous travaillez beaucoup les armes ?

Moi ?

Oui.

En aïkido ?

Oui…

Jamais. Pour les armes… je suis professeur de jodo dans le cadre de la Fédération de Kendo. Cela n’a rien à voir avec l’aïkido.
En aïkido je fais très, très peu d’armes, et seulement le bojutsu de l’aïkido, Masakatsu bojutsu, que m’a enseigné Hikitsuchi Sensei. Mais je ne fais pas d’armes en aïkido, parce que d’abord, quand O Sensei était vivant, on ne faisait pas d’armes. J’ai connus les maîtres japonais qui sont arrivés en France ou en Europe à l’époque où le fondateur de l’aïkido était encore vivant, et on ne faisait pas d’armes. C’est après sa mort que ça a commencé.
Quand on demandait à Hikitsuchi Sensei, [il répondait que] c’était seulement O Sensei qui faisait des armes, et qui démontrait l’aïkido avec une arme. Mais les autres ne le faisaient pas entre eux. J’ai donc réfléchi pourquoi, parce que moi aussi, à l’époque, j’ai aimé faire les armes en aïkido. Et quand je suis allé au Japon j’ai pratiqué un peu le Kashima Shin Ryu avec Maître Inaba et j’ai vu que je ne connaissais rien aux armes. Après pour différentes raisons j’ai été obligé d’arrêter et j’ai commencé l’étude du Shindo Muso Ryu avec Me Matsumura, et donc j’ai rencontré un milieu jodo, et dans ce milieu, j’ai rencontré des maîtres de kendo et des maîtres de iaïdo et j’ai compris qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec l’aïkido et les armes.
Pour ce qui est de l’aïkido, j’essaie de faire comme mon professeur, c’est-à-dire que j’essaie de démontrer comment on peut faire de l’aïkido avec une arme. Parce que le problème, en aïkido, c’est qu’il n’y a jamais eu d’enseignement de comment tenir une arme, comment attaquer avec une arme. Quelqu’un attaquait avec une arme, mais il savait déjà le faire, puisque à l’origine, la plupart de ceux qui commençaient l’aïkido étaient au moins 5e dan de kendo. Ils venaient du kendo, d’autres du judo ou du karaté. Et donc Me Ueshiba prenait quelqu’un qui connaissait les armes. Il démontrait ce qu’était l’aïkido avec une arme, mais il n’y avait pas une étude, comme dans une école, où on apprend comment tenir un sabre, comment tenir un bâton, comment attaquer, comment piquer, quelles sont les différentes situations, selon que quelqu’un attaque là ou là… et donc, pour moi, j’ai complètement séparé.
Il n’y a que le bojutsu, parce que, comme je l’ai déjà écrit, on peut dire que la position des pieds, la façon de se déplacer, de bouger, les angles des hanches, vont se retrouver dans les techniques, parce que c’est le bojutsu créé par le fondateur de l’aïkido, qui est très différent des techniques d’armes que l’on peut étudier dans les écoles comme Sui O Ryu, le Kashima Shin Ryu, le Katori Shinto Ryu, etc. C’est tout à fait différent. Les directions ne sont pas les mêmes. C’est le problème.
Que cela puisse apporter quelque chose à quelqu’un qui pratique, parce qu’il va apprendre à tenir son corps droit, à bouger correctement… en fait c’est la coordination motrice : si on tient un volant, on le tient correctement, on ne le tient pas avec les épaules comme ça… si on tient un balai… mais ce n’est pas très valorisant de dire : « Pour bien balayer il faut avoir les épaules basses, et tenir le balai avec les mains correctement placées… ». Le sabre c’est plus valorisant, mais c’est la même chose.

Je vous ai posé cette question, parce que j’ai souvent entendu dire que le travail avec le ken favorisait le progrès en aïkido.

Pour moi c’est complètement faux. Parce que l’aïkido, ce n’est pas ça du tout. D’ailleurs, la première chose que l’on peut voir, c’est que si l’on prend les livres de Me Ueshiba, même les vieux livres, comme Budo no Renshu de 1933, il n’y a pas d’armes. C’est très intéressant : on ne voit pas d’armes. Si on prend les photos de 1942, on voit beaucoup d’attaques à mains nues, mais on ne voit pas d’armes. Et jamais le fondateur de l’aïkido n’a dit que l’aïkido était créé par les armes. Il n’y a pas un seul texte… Ce dont il parle c’est tout à fait différent : il dit que l’aïkido est l’expression du kotodama, c’est-à-dire cette croyance dans les pouvoirs des vibrations. Et il le répète sans arrêt : « l’aïkido, c’est le kotodama. » Donc, ça n’a rien à voir avec les armes. Je crois qu’il y a une confusion. Et il y a aussi un problème de confusion chez les pratiquants d’aïkido qui vient de ce qu’ils font toujours des armes entre eux, mais jamais avec un maître de kendo ou avec un maître de iaï qui ne fait pas d’aïkido. Donc il y a une espèce d’illusion.
Quant à dire que si on fait du sabre [cela va aider en aïkido]… Oui, si j’ai un élève qui pratique le kendo ou le iaïdo depuis dix ou quinze ans, je vais utiliser ses connaissances qu’il a déjà en kendo pour lui donner des indications pour avancer plus vite en aïkido. Mais si quelqu’un n’en a jamais fait, on lui crée un obstacle supplémentaire, parce qu’avant de savoir tenir un sabre, il faut longtemps. Avant de savoir tenir un bâton et l’utiliser correctement, il faut beaucoup de temps. Ce n’est pas en un mois ou en un an ou deux, une heure par semaine, que l’on arrive à tenir un sabre.
C’est pour ça que je sépare les deux choses : il n’y a que le vendredi de 2 à 3 heures que je fais du bo. Je l’enseigne un peu dans les stages, parce qu’on a le temps. Mais c’est le bo d’Hikitsuchi Sensei, c’est le bo du fondateur de l’aïkido, et il se fait tout seul. Il ne se fait jamais à deux.

Vous avez une vieille photo prise à Shingu où l’on voir Hikitsuchi Sensei attaquer O Sensei avec un sabre…

Oui, O Sensei démontrait que contre une arme il pouvait faire de l’aïkido. Mais c’estlui qui faisait, tant qu’il était vivant. Après sa mort, on a fait beaucoup d’armes, surtout avec les livres de Saïto Sensei.

Saito Sensei disait qu’il avait toujours pratiqué les armes avec O Sensei.

Ce n’est pas tout à fait exact. Quand on regarde la première interview de Saïto Sensei, en 1985, quand il est venu en Italie, il a dit que c’est lui qui a créé l’aïkijo. Il a dit : « Parce que je ne comprenais pas ce que faisait O Sensei, pour essayer de comprendre j’ai créé l’aïkijo, et aussi l’aïkiken » et il a créé les 33 mouvements de jo, et les kumijo. Et il a bien expliqué que cela n’existait pas, que c’est lui qui a créé tout ça. C’est Saïto Sensei, c’est-à-dire que c’était son point de vue, et je pense que les élèves qui ont travaillé avec Saïto Sensei ont raison de continuer dans cette direction. Mais ce n’est pas du tout ce que faisait le fondateur de l’aïkido. C’est le problème. Maintenant que Saïto Sensei est mort, je ne sais pas ce qui va se passer.
Ce que faisait O Sensei, et c’est Saito Sensei qui le dit, qu’ « On faisait toujours seuls le bo, mais O Sensei pour expliquer la logique, pourquoi on faisait tel ou tel déplacement, montrait de temps en temps avec quelqu’un. Comme il le montrait avec moi, je voyais à quoi cela correspondait. » Mais il n’y avait pas d’enseignement de ce que l’on faisait à deux. Saïto Sensei explique que c’est lui qui l’a créé. C’est dans son interview et ce que disait Saïto Sensei dans cette interview est très clair.
Mais moi, j’avoue que je ne vois pas la relation entre les techniques d’aïkido et une arme.

© Copyright 1995-2024, Association Aïkido Journal Aïki-Dojo, Association loi 1901