Alain Peyrache, 3 partie - N°30FR

Beaucoup d’aïkidokas, du fait de l‘hypertrophie de leur égo, ne peuvent assumer leur autonomie.


Alain Peyrache pendant l'entrevue à Lyon 2010

Pourquoi mes élèves viennent à mes cours ? Pas pour mes grades, je n’en ai pas, mais pour la qualité de mon enseignement. Mais il ne suffit pas d’avoir le bon dojo, le bon professeur, faire un maximum de cours, le bon fonctionnement pour être un bon aïkidoka : on retrouve le principe yin/yang. Mais on a plus de chance d’arriver à des résultats. Autrement dit, si on a un outil de bonne qualité, on peut faire du meilleur travail. Si on n’a ni les outils ni les conditions indispensables pour faire un bon travail, eh bien malgré les meilleures intentions, avec toutes les qualités du monde, c’est impossible. Quelle que soit votre compétence, une carotte ne poussera jamais sur du béton. En revanche, dans une bonne terre, cela dépendra du savoir-faire du paysan. Si c’est un incompétent, le résultat sera nul. Ce que je veux dire, c’est que même avec un bon professeur il n’est pas sûr que vous fassiez de l’aïkido. On ne redresse pas un arbre tordu, pas plus qu’on ne peut faire pousser une carotte sur un terrain défavorable. Beaucoup d’aïkidokas, du fait de l‘hypertrophie de leur égo, ne peuvent assumer leur autonomie.
L’aïkido est un outil : si vous ne respectez pas les conditions d’emploi, vous montrez votre incompétence et l‘outil casse ou devient inutile… Cependant, même si vous respectez la notice du fabricant, il n‘est pas sûr non plus que vous arriviez à un bon résultat : cela dépend de vos qualités personnelles.
Alors, que fait-on? On récite sa leçon– le ki, le kokyu… que tout professeur d’aïkido connaît bien : tout le monde a le même discours, mais techniquement cela change beaucoup parce qu’il n’y a pas adéquation: si vous regardez bien, la plupart du temps ils font exactement l’inverse de ce qu’ils disent. On en a la preuve dans leur présentation du maaï: ”Vous devez faire un pas pour mettre en danger le partenaire”, alors qu’en fait c’est lui qui va vous sauter dessus et va se suicider tout seul.
Alors, évidemment, les listings de techniques, plus vous en connaissez… vous allez faire un listing de techniques debout, les mêmes à genoux et les mêmes en hanmi handachi. Le seul problème c’est que le hanmi handachi, le suwari waza, ce n’est pas fait pour ça. Le hanmi handachi, c’est une situation où vous êtes à moitié paralysé, dominé physiquement, par rapport à un partenaire très mobile, comment avec les enseignements d’aïkido vous sortez-vous de cette situation? Il ne s’agit pas de faire les mêmes techniques que debout, ce qui ne servirait à rien et qui en plus est inemployable. Mais la question est : quels sont les enseignements dans cette technique qui vont vous permettre de vous sortir de cette situation où vous êtes dominé physiquement et à moitié paralysé, où vous n’avez pas beaucoup de possibilité de déplacement ? C’est ça qui est intéressant. Ce n’est pas de faire le numéro que vous répétez depuis un an avec votre meilleur partenaire pour aller épater un jury pendant 10 minutes : cela n’a aucun sens.

Au niveau de l’approche pédagogique, cela correspond aux démarches inductives et déductives : quand vous allez du particulier vers le global ça ne fonctionne jamais, alors que la démarche orientale c’est d’aller du global au particulier, c’est-à-dire que partez de quelque chose qui n’est pas parfait, qui est complètement biscornu et – misogi – vous allez nettoyer tout ça, le polir au diamant pour que ça devienne brillant, et vous allez percevoir qu’en faisant ça vous allez du global vers le particulier, et ce particulier ce sont les enseignements d’aïkido que vous retrouvez tout le temps.
A partir de là, on aborde les choses différemment, on travaille différemment, on a des rapports différents entre nous, etc. Et on retrouve le fonctionnement de l’aïkido dans toute sa splendeur ! C’est-à-dire que vous pouvez saisir le sens exact du principe ”un maître, un dojo”, que dans le dojo vous avez la position des élèves et la position du maître. Si vous êtes élève du dojo, le maître dans son dojo va exiger que son enseignement soit appliqué. Si quelqu’un qui n’est pas mon élève vient dans mon dojo, si cela l’intéresse, il devient mon élève, si cela ne l’intéresse pas, il va faire ce qu’il veut. Mais je ne vais pas juger quelqu’un qui a des conceptions différentes de moi. Je fais selon mes convictions, les autres font selon leurs convictions, ce qui fait que, comme en musique, on ne joue pas tous la 5e symphonie. Autrement, ce serait vraiment triste. On aura des gens qui en fonction de leur jugement, en fonction de leurs aspirations, vont trouver un aïkido qui leur plait, pour le plus grand bien de l’aïkido, parce qu’il y aura toujours un aïkido qui plaira à quelqu’un, et donc l’aïkido se développera. Alors que le système administratif français impose un système entièrement inventé, qui n’existe pas au-delà de nos frontières.

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